La méthodologie

Portion de la couronne de l'arbre LOT01, Dussia tessmannii, PN Rio Abiseo, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Olivier Pascal

Choix des arbres et équipement

Le choix d’une espèce d’arbre, et d’un individu la représentant, est forcément une affaire de compromis. Nous avons bien sûr cherché parmi les espèces d’arbres représentatives de la forêt environnante des sujets âgés, de grande taille et chargés en épiphytes, mais d’autres critères de sélection sont à prendre en compte. Notamment l’accessibilité, laquelle détermine le temps de travail utile pour chaque journée, l’efficacité des collectes, et donc le temps nécessaire pour compléter l’inventaire d’un arbre.

 

Après plusieurs missions de repérages au Pérou et en Colombie, notre choix s’est d’abord arrêté sur un énorme spécimen de Dussia tessmannii (50m de hauteur) situé à 400m d’altitude dans une forêt de piémont de la cordillère andine, dans le Parc National Rio Abiseo au Pérou. Après cette étude sur un arbre à faible altitude, nous voulions obtenir une image de la biodiversité associée à un arbre situé à une altitude plus élevée, là où la diversité en plantes épiphytes est considérée comme maximale dans la littérature scientifique. À la suite de la rencontre avec le Dr. Damien Catchpole, détenteur du record du nombre d’épiphytes trouvées dans un arbre, et d’une visite au Parc National Yanachaga-Chemillén, nous avons retenu l’arbre inventorié par Catchpole en 2003 pour servir de deuxième sujet d’étude du programme Life On Trees. L’arbre, un individu de Ficus americana subsp. andicola de 32m de hauteur, est situé à 2450m d’altitude dans la vallée de San Alberto au Pérou. Le troisième arbre du programme se trouve à une altitude intermédiaire, 850m, dans la forêt de la réserve privée La Isla Escondida dans le département de Putumayo en Colombie. L’arbre est un spécimen de 40m de l’espèce Brosimum utile.

Station Churro, PN Rio Abiseo, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Maurice Leponce
Accès en bateau au site de l'arbre LOT01, PN Rio Abiseo, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Maurice Leponce
Réserve Naturelle de La Isla Escondida, Putumayo, Colombie. ©LOT FDD-Biotope ISNB Maurice Leponce

L’installation et la mise en œuvre du système d’accès aux arbres sélectionnés sont assurées par l’association AccèsCimes qui met à disposition du programme des grimpeurs professionnels. Un nouveau système pour faciliter les ascensions a été testé avec succès. Il est constitué d’un ensemble de poulies et d’un winch de bateau couplé à un moteur électrique. Ce système permet d’être hissé sans effort à un point central dans la couronne. Des cordes de déplacements sont posées sur des branches élevées pour opérer des translations d’un secteur du houppier à un autre sans avoir à redescendre au sol.

 

En dehors du tronc, le long duquel des personnes non qualifiées peuvent se déplacer verticalement sans bagage technique, l’essentiel de l’arbre n’est accessible qu’aux grimpeurs confirmés, seuls aptes à se déplacer dans les trois dimensions. La grande majorité des prospections et des collectes dans la couronne, depuis son centre jusqu’aux extrémités des branches, n’est donc pas le fait des scientifiques mais celui des grimpeurs. Leur rôle est par conséquent crucial pour prélever les organismes cibles dans un environnement complexe. Une plateforme circulaire de 2,5m de diamètre, installée au cœur de la cime, offre un lieu de stationnement sûr et confortable et permet aux scientifiques de guider les grimpeurs dans leur collecte.

Plateforme installée dans l'arbre pour guider les collectes réalisées par les grimpeurs. ©LOT FDD-Biotope ISNB Tanguy Deville
Matériel de grimper. ©LOT FDD-Biotope ISNB Tanguy Deville
Accès au site de l'arbre LOT01 par le fleuve Abiseo, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Maurice Leponce

Principe d'inventaire

L’essentiel des collectes étant réalisé par un nombre restreint de grimpeurs professionnels, il est difficile de mener plusieurs activités de front dans la couronne de l’arbre et donc inutile d’être trop nombreux sur le terrain au même moment. Par ailleurs, certains protocoles nécessitent plus de temps que d’autres pour être complets et tous ne sont pas compatibles entre eux. L’étude d’un arbre nécessite donc plusieurs opérations, conduites par de petits groupes d’experts. Le fait de répartir les opérations de collecte sur une année, à différentes saisons, maximise aussi les chances de rencontrer des cortèges d’espèces différents, ou de trouver des plantes en fleur, indispensable à leur identification.

 

Au sein d’un arbre, les conditions d’habitat varient drastiquement depuis le sol jusqu’à la périphérie de la couronne. Il est par conséquent nécessaire d’échantillonner selon une méthode qui prend en compte la variété des milieux – notamment la présence d’humus accumulé sur les branches — et des conditions microclimatiques – humidité relative de l’air, température, intensité lumineuse – qui déterminent la distribution des espèces dans l’arbre.

Dans le cadre du programme Life On Trees, sur la base de l’expérience acquise au cours de missions similaires en forêt tropicale, nous réalisons un échantillonnage stratifié de la Faune et de la Flore de manière à couvrir l’ensemble des habitats disponibles. Nous avons divisé l’arbre en six classes de hauteur en s’inspirant du schéma de zonation de Johansson pour guider les prélèvements.

Pièges à insectes suspendus dans l'arbre LOT01, PN Rio Abiseo, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Tanguy Deville
Utilisation de la technologie LIDAR pour obtenir une image en 3D de l'arbre LOT02, PN Yanachaga-Chemillén, Pérou ©LOT FDD-Biotope ISNB Maurice Leponce
Premières analyses des spécimens collectés dans l'arbre LOT02 au CDS, Oxapampa, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Maurice Leponce

Si un inventaire exhaustif des espèces peut se concevoir dans la partie basale de l’arbre, sa hauteur, sa complexité structurale, ainsi que le volume de son houppier rendent impossible son inventaire complet. Seule l’application d’une méthode standardisée est à même de donner une image représentative de la composition des espèces qui lui sont associées. Plusieurs protocoles d’échantillonnage sont nécessaires selon les groupes d’organismes visés afin d’estimer la richesse totale en espèces dans l’arbre.

 

Pour les groupes fixés sur l’arbre et constitués d’un grand nombre d’organismes de petite taille, comme les bryophytes ou les lichens, il est possible d’effectuer des « coups de sonde » en prélevant tous les organismes sur de petites surfaces équivalentes en taille et réparties dans l’arbre. Il est ainsi possible de produire ensuite des extrapolations pour obtenir une image réaliste du nombre d’espèces comme de leur répartition.

 

Pour les grandes plantes, comme les orchidées ou les fougères, moins nombreuses en espèces et encore moins en individus, nous avons privilégié des prélèvements de petits massifs d’épiphytes avec leur substrat. La totalité des plantes, des animaux et la matière organique décomposée de ces ilots est ramenée au laboratoire de terrain. Ces agrégats ont ainsi fourni une matière abondante pour différents protocoles et pour l’étude de différents groupes cibles.

 

Pour les champignons endophytes, qui complètent la totalité de leur cycle à l’intérieur de l’arbre, nous réalisons des prélèvements de bois et de feuilles répartis depuis la base jusqu’au sommet de l’arbre. Les champignons endophytes des feuilles et racines des plantes épiphytes sont également étudiés. Les échantillons de bois, les morceaux de feuilles et racines sont conservés dans une solution qui fixe l’ADN ou mis en culture pour isoler des souches dont l’ADN sera ensuite séquencé.

Prélèvement du contenu aquatique d'une broméliacée dans l'arbre LOT02, PN Yanachaga-Chemillén, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Charlie Delhumeau
Broméliacées prélevées dans l'arbre LOT02, PN Yanachaga-Chemillén, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Charlie Delhumeau
Conditionnement de la petite faune issue des sols suspendus de l'arbre LOT02 au CDS, Oxapampa, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Maurice Leponce

Chez les invertébrés, les arthropodes (principalement les insectes) forment le groupe le plus diversifié. Pour être efficace et avoir une représentation globale de la faune inféodée aux arbres étudiés, chaque groupe d’insectes doit être collecté à l’aide de techniques qui lui est propre.

 

Pour les vertébrés, des observations directes sont effectuées par des spécialistes des chauve-souris et des oiseaux à différentes heures de la journée dans les houppiers et à proximité immédiate des arbres d’étude. Ces observations sont complétées pour d’autres vertébrés grâce à l’étude de l’ADN environnemental issus des dépôts de matière organique contenus dans les broméliacées. Les arbres du programme abritent en effet de nombreuses broméliacées qui retiennent l’eau entre leurs feuilles. Ces mini-mares suspendues forment un petit écosystème au sein même de l’écosystème arbre. Les contenus aquatiques de ces broméliacées abritent une grande diversité d’organismes et intéressent plusieurs scientifiques du programme Life On Trees. Leur contenu est prélevé, filtré et conservé pour étude ultérieure.

Même si les espèces de ces contenus ne sont associées que de façon secondaire à l’arbre support, nous voulons étudier toute la biodiversité qu’un arbre peut receler. Il est d’ailleurs probable que les différents microclimats générés par l’arbre influent sur la composition de ces communautés aquatiques selon l’endroit où elles se situent dans le houppier.

 

Les prélèvements de spécimens et d’échantillons sont – dans la mesure du possible et hors collectes opportunistes – géolocalisés dans l’arbre. Nous conservons ainsi leur position et pourrons replacer certains des prélèvements dans une image tri-dimensionnelle obtenue avec la technique LIDAR (Laser Imaging Detection And Ranging).

Grimpeurs et systèmes de déplacement dans le houppier ©LOT FDD-Biotope ISNB Maurice Leponce

Construction d’un modèle 3D de l’arbre avec un télémètre laser à balayage

Pour quantifier avec précision la structure de nos arbres d’étude, nous avons produit des jumeaux numériques en trois dimensions à l’aide de la technologie LiDAR.

 

Le LiDAR (Laser imaging Detection And Ranging) est une technologie de télédétection à courte portée qui permet de mesurer les distances et créer des représentations 3D détaillées d’objets et d’environnements. Lorsqu’une impulsion laser est émise, l’appareil mesure le temps entre son émission et son rebond après avoir touché une surface. En analysant le temps de retour des impulsions laser, les systèmes LiDAR peuvent calculer avec précision la distance des objets ou des surfaces.

 

Le balayage laser terrestre (TLS), pour lequel un scanner fonctionne depuis le sol, est actuellement utilisé comme technologie de pointe pour saisir très précisément la structure des forêts tropicales. Le TLS utilise généralement un scanner laser pour scanner les arbres à partir de plusieurs angles de vue depuis le sol. Dans les forêts tropicales, la canopée des arbres peut atteindre une hauteur de 50m ou plus. En raison de la distance importante entre le scanner et la couronne de l’arbre, même les meilleurs scanners laser rencontrent des difficultés à obtenir une image claire du sommet de la canopée. Pour ces grands arbres, les données sont limitées et souffrent de nombreuses lacunes, leur parties supérieures étant souvent masquées par les obstacles (branches, feuillage) situés en dessous.

 

Pour s’affranchir de cette limitation du TLS, nous explorons dans le programme Life On Trees la quantité d’informations 3D supplémentaire que l’on peut obtenir en réalisant des scans à l’intérieur de la couronne de l’arbre. Nous pouvons ainsi caractériser la structure tridimensionnelle de la végétation sur l’arbre, y compris les feuilles et les plantes épiphytes qui s’y développent.

Image LIDAR de l'arbre LOT03, RN La Isla Escondida, Colombie. ©LOT FDD-Biotope ISNB Barbara D'Hont

Pour plus d’informations sur la méthodologie :

Leponce, M.; Basset, Y.; Aristizábal-Botero, Á.; Baïben, N.; Barbut, J.; Buyck, B.; Butterill, P.; Calders, K.; Cárdenas, G.; Carrias, J.-F.; Catchpole, D.; D’hont, B.; Delabie, J.; Drescher, J.; Ertz, D.; Heughebaert, A.; Hofstetter, V.; Leroy, C.; Melki, F.; Michaux, J.; Moreno, J.C.N.; Poirier, E.; Rougerie, R.; Rouhan, G.; Rufray, V.; Scheu, S.; Schmidl, J.; Vanderpoorten, A.; Villemant, C.; Youdjou, N.; Pascal, O. (2024) Unveiling the above-ground eukaryotic diversity supported by individual large old trees : the “Life on Trees” integrative protocol.  Frontiers in Forests and Global Change 7 (https://doi.org/10.3389/ffgc.2024.1425492).

 

 

Exploration de l'arbre LOT01, Dussia tessmannii, Pérou. ©LOT FDD-Biotope ISNB Bertrand Delapierre
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